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[Scénario]
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Nouillonpont 3km

    SEQ. 1 - EXT/JOUR – EGLISE DE ST PIERREVILLERS/PARVIS

    Printemps 2003, le parvis d’une petite église ancienne. Les cloches sonnent.
    Des femmes et des hommes endimanchés sortent et s’alignent en riant de chaque côté du porche. Ils tiennent dans leurs mains de petits sacs de riz. (3 notes de la marche nuptiale en remix)


    SEQ. 2 – INT/JOUR – ROUTE NATIONALE DE CAMPAGNE

    Sur une route nationale bordée de champs, une Twingo double très vite une autre voiture. Son autoradio crache de la musique rythmée.
    Le titre du film peint à la peinture blanche, apparaît sur la route: Panne des Sens.


    SEQ. 3 – INT/JOUR – ROUTE NATIONALE DE CAMPAGNE/VOITURE

    Le conducteur de la Twingo, cramponné au volant, appuie sur l’accélérateur. 35 ans, grand en apparence, un physique fin, une chemise aux couleurs vives, des yeux sombres cerclés de petites lunettes rondes. C’est BENJAMIN LEROY..

    BENJAMIN, pour lui
    Putain, t’avances… Tu conduis un tracteur, c’est pas vrai !

    Sur ses genoux, une lettre à en-tête -« Les cèdres verts »- une maison de retraite de la région.



    SEQ. 4 – EXT/JOUR – EGLISE DE ST PIERREVILLERS/PARVIS

    Sur le parvis de l’église, une pluie de riz tombe sur le couple de mariés. Elle, jeune et jolie femme sensuelle, le visage couvert de taches de rousseur, chevelure rousse sous un voile de tulle blanc. Lui, un homme solidement bâti, un visage rude mais sympathique.
    Le groupe de femmes et d’hommes s’agite pour les filmer et les photographier.
    On distingue les deux TEMOINS, deux jeunes hommes à la carrure imposante et rurale (Olivier et Thierry), la SOEUR de la mariée au visage d’ange (Laura), une jeune femme d’une vingtaine d’années (Marie-F), une ribambelle d’enfants en tenue guindée, le CURE, tout sourire, un homme à la cinquantaine dynamique et…
    …à l’écart, la PYTHIE, une femme rousse à la quarantaine sévère, tout de blanc vêtue.
    Le riz tombe avec violence sur le jeune couple. Rires et cris.
    (3 notes de la marche nuptiale en remix)
    La mariée s’échappe vers les champs. Une horde de photographes la poursuit.

    LA MARIEE
    Qui m’aime me suive…




    SEQ. 5 – EXT/JOUR – ROUTE-FERME DE BELLEVUE/VOITURE

    Au volant de sa voiture, Benjamin LEROY roule toujours très vite. Il ouvre sa vitre. Une rafale de vent le décoiffe. Tout à coup une pluie de riz le force à fermer les yeux. Il lâche le volant pour se protéger à l’aide de ses bras. La voiture s’écarte de la route. La musique est brouillée par les interférences.
    Il réalise qu’il roule à gauche, se rabat brutalement. Le moteur a des secousses. La voiture s’arrête net.
    Il se retrouve au beau milieu d’un champ. Sonné.


    SEQ. 6 – EXT/JOUR – FERME DE WOECOURT/VERGER-VIN D’HONNEUR

    Au milieu d’un beau et grand verger, les invités de la noce sont assis à une grande table recouverte d’une nappe blanche. Ils trinquent dans un joyeux brouhaha. Les enfants courent tout autour.
    La mariée, voile au vent, arrive en courant. Elle est accompagnée de Laura et de Marie-F. La Pythie s’approche de la mariée et lui lit les lignes de la main.

    LA PYTHIE, d’un ton solennel
    Tu n’appartiendras pas à ton mari cette nuit, ni même aux premiers rayons du soleil…
    La mariée et les deux filles gloussent.
    Je vois une fête pleine de chaos…

    LA MARIEE, dans un sourire espiègle
    Je crois pas à tes salades… je sais ce que tu penses de lui, mais je suis sa femme maintenant… Et puis, le chaos, ça peut avoir son charme…

    La mariée se remet à courir, suivie de ses deux demoiselles d’honneur. La Pythie reste de marbre.

    LE MARIÉ
    Alors la Pythie, toujours à foutre la merde !

    A un bout de la table, un invité renverse un verre de rouge sur le blanc immaculé de la nappe.


    SEQ.7–EXT/FIN DE JOUR–ROUTE-FERME DE BELLEVUE/VOITURE
    .
    BENJAMIN, revenant à lui.
    Putain de putain de putain ! J’hallucine !
    Mais qu’est-ce qui m’a pris de revenir ici ? C’est pas vrai, que des merdes !

    Il essaie de démarrer la voiture, rien. Il descend de la voiture, un peu sonné, la lettre à la main. Au loin, il aperçoit un hameau. La radio crache toujours la même musique dans la voiture qu’il laisse ouverte. Il sort son téléphone portable de la poche de sa chemise, compose le numéro de l’en-tête de la lettre.

    BENJAMIN (Le son passe mal ou il n’y a plus de batterie ?)

    Oui… Les cèdres verts ? (plus fort, il articule)Je suis bien à la maison de retraite « Les cèdres verts » ? Oui, je dois rendre visite à monsieur LEROY, aujourd’hui. Oui, c’est mon père. Je suis en panne tout près de chez vous, je voulais vous prévenir de mon retard. Mais ne lui dites rien, je vous rappellerai… Merci, madame.


    SEQ.8–EXT/FIN DE JOUR–CHEMIN DE SPINCOURT.

    Une borne indique : Nouillonpont 3 km
    Benjamin se dirige vers le hameau en marchant le long d’un chemin désert.


    SEQ.9–EXT/CHIEN ET LOUP–-FERME DE WOECOURT/ COUR.

    Benjamin arrive à l’entrée du hameau. On découvre une ferme typiquement lorraine construite en fer à cheval, large, massive et austère. Il s’avance dans la cour où sont garées une trentaine de voitures.
    Une porte de l’aile principale face à lui s’ouvre en grinçant sur la silhouette d’un homme grand. Un bruit lointain de musique et de rires s’échappe.
    Sur le pas de la porte entrouverte, dans un rai de lumière, on reconnaît le visage de Thierry, une cigarette au bec. Il aperçoit Benjamin, jette sa cigarette, rentre en titubant et referme brutalement la porte derrière lui.
    Benjamin s’avance rapidement vers un muret et urine entre deux voitures en sifflotant.
    Tout à coup, des mains le saisissent par le col et le projettent sur le sol entre deux voitures. Il hurle.
    Thierry et Olivier le maintiennent solidement. Des lampes torches s’allument et l’aveuglent. Le marié est visiblement très en colère.

    Thierry lui envoie une forte claque dans la figure. Ses lunettes volent.

    BENJAMIN hurle toujours
    Hé, ça va pas les gars ? Qu’est-ce qui vous prend ?

    Le marié, le visage fermé, s’approche. Son pied écrase les lunettes tombées près du pare-choc.



    LE MARIE, vers la grange, très fort
    Un voleur ! Ca y est, on en a attrapé un ! Venez voir !
    (à Benjamin, inquisiteur) Alors, on vient voler nos bagnoles ?

    Benjamin, le nez en sang, tente d’ouvrir la bouche mais Olivier lui porte négligemment un coup au ventre qui le plie en deux. Il tente de s’échapper, mais est stoppé par ses agresseurs. Le groupe d’hommes porte Benjamin à bout de bras et traverse la cour solennellement. La lettre tombe de sa poche.
    La Pythie, perchée sur le perron de la maison, observe la scène.



    SEQ. 10 – INT/borgnol – FERME DE WOECOURT /GRANGE-BANQUET

    Le rideau d’entrée de la grange s’ouvre sur le banquet. Les trois hommes projettent Benjamin dans la poussière devant la tablée en désordre de fin de mariage. Il a le visage tuméfié et les vêtements tachés de sang. Seuls quelques invités se laissent attirer par le spectacle.



    Benjamin relève la tête, hagard. Ses yeux sans lunettes lui permettent seulement de distinguer une multitude d’ombres à la table.
    Il se retourne et découvre la grange immense, décorée de lampions, de spots et d’une grosse boule métallique. Quelques ombres dansent sur la musique disco crachée par une sono mal réglée.
    Dans un coin, un homme boit son verre de vin cul-sec. Un autre fait ses gammes sur un accordéon.
    Benjamin a la tête qui tourne. Le marié s’en empare et le traîne sur quelques mètres pour l’approcher de la table.

    LE MARIE, à l’assemblée
    Un voleur ! On a trouvé un voleur dans la cour ! Beau cadeau de mariage, non ? Pas vrai la Pythie ?

    La musique s’arrête. La Pythie arrive dans son dos, les bras chargés de plats.

    LA PYTHIE, en marmonnant
    Un cadeau empoisonné…beau fils.

    Le marié bondit alors sur la table, pousse la vaisselle d’un coup de pied avant de s’agenouiller devant la mariée, très surprise. Il lui prend la main.

    LE MARIE
    Et vous, mon amour, ça vous fait plaisir ? Un beau cadeau, non, pour notre mariage ?

    Un silence. Une partie des invités reste suspendue aux lèvres de la mariée. Les autres continuent à danser et à boire.

    LA MARIEE, avec une fausse candeur
    Oui, beaucoup… Mon amooour !
    (pour elle)Le chaos, c’est sûrement ça…

    Dans un coin, un INVITE ivre, affalé sur la table, se redresse.

    L’INVITE
    ça y est, encore les mêmes conneries…

    Il bascule en arrière.

    THIERRY, au marié
    Hé, le marié, y z’ont mangé, tes cochons ?

    Le marié se redresse fièrement et entraîne la mariée avec lui.
    Le visage de Benjamin se fige.
    La famille qui entoure les mariés les regarde, stupéfaite.

    Un des membres de la famille
    Là, il est temps qu’on parte !

    DJ (off au micro)
    Il y a comme cela des moments qui deviennent uniques,

    Changement de musique, le DJ se met au « synthé ».



    DJ d’une voix suave
    Invitez votre cavalière et c’est parti pour un moment inoubliable (il joue un slow sur son synthé)

    Le marié et Thierry saisissent Benjamin par la chemise et le traînent à l’arrière de la grange, vers le hangar à tracteurs. Olivier les suit d’un pas nonchalant.

    OLIVIER
    Et quand est-ce qu’on mange la pièce montée ?

    La mariée grimpe sur le dos du marié. Ils sortent en poussant des cris d’indiens. L’homme à l’accordéon leur emboîte le pas et ouvre une procession d’invités dans un morceau de musique folklorique.

    LA PYTHIE, pour elle
    Je le connais ce pauvr’ gars, je sais vraiment pas d’où ?
    C’est pas lui quand même le chaos ?


    SEQ. 10bis – EXT/NUIT – FERME / CHEMIN DU JARDIN

    La procession s’avance dans la pénombre, d’abord Thierry et Olivier traînant le malheureux. Puis le couple de mariés, Laura et Marie F précédé par l’accordéoniste ; l’ombre de ce dernier se découpe sur le mur de la ferme.


    SEQ. 11 – EXT/NUIT – FERME / HANGAR AUX TRACTEURS

    Thierry et Olivier achèvent de ligoter Benjamin. Il se débat en voyant devant lui tous ces énormes engins bien rangés dans des boxes en ciment (tracteurs, moissonneuse-batteuse et différentes herses de toutes tailles).

    BENJAMIN, il hurle
    Laissez-moi ! Mais vous êtes complètement tarés ! Je suis pas un voleur, je suis juste tombé en panne d’essence.

    Thierry lui pince méchamment la joue en lui secouant la tête pour le faire taire.

    THIERRY
    C’est ça ! Mais nous avons tous quelque chose à nous reprocher… Nous sommes tous des voleurs quelque part.

    Il éclate d’un gros rire gras.
    La procession se rapproche.
    Les deux jeunes filles sont collées l’une à l’autre comme deux colombes angéliques.

    LAURA
    Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ? Il a l’air si mignon…

    MARIE-F
    Oui… Mais il a voulu nous faire du mal.

    Elles se regardent dans un sourire navré.


    SEQ. 12 – INT/NUIT – FERME/GRANGE - BANQUET

    Une musique rythmée scande un rythme saccadé dans la grange. La Pythie suivie d’un groupe de curieux rejoint le lieu du supplice. Quelques invités continuent à danser sur la piste improvisée.


    SEQ. 13 – EXT/NUIT - FERME/HANGAR AUX TRACTEURS

    Thierry traîne Benjamin et le lâche sous la roue de la moissonneuse batteuse.

    BENJAMIN, il crie
    Vous êtes complètement fous ! Qu’est-ce que vous allez me faire ?

    Olivier maintient au sol Benjamin et lui pose son talon sur la joue. Le marié et la mariée fendent la foule des spectateurs pour passer au premier rang. Marie-F tient une assiette de saucisses de strasbourg dans laquelle tout le monde pioche.

    OLIVIER
    Ta gueule !
    (Et voyant l’assiette de saucisses) et moi j’en veux aussi.

    BENJAMIN, le visage au sol, difficilement
    Je voulais juste demander un peu d’essence pour ma bagnole… Je suis tombé en panne. C’est pas un crime !

    Personne ne répond ni même ne semble l’écouter. Thierry se met au volant de la moissonneuse batteuse.

    BENJAMIN, il crie
    Vous n’avez pas le droit de faire ça !

    Rires.

    BENJAMIN, il hurle avec assurance
    Si vous me tuez, la police vous retrouvera et vous serez tous condamnés !

    LE MARIE et LA FOULE, en chœur
    Ben voyons, la police… Mais que fait la police ?

    Tous rient.
    D’un geste de la main, le marié fait le silence. Son visage redevient grave.

    LE MARIE, à Thierry
    Vas-y, démarre !

    LAURA, tout bas à la mariée
    C’est dommage, il était vraiment mignon… Moi j’ai pas encore de mari…

    L’engin démarre dans un vacarme assourdissant.
    Le marié attrape le verre de son voisin et le boit d’un trait.
    La Pythie souffle quelques mots à l’oreille de la mariée.

    LA MARIEE
    Mon amour, attends, j’ai droit à une dernière faveur…

    Le moteur de la moissonneuse s’arrête.



    Chorégraphie :

    L’homme à l’accordéon entame un solo, la musique envahit l’espace..
    Chorégraphie sous les sunlights : Chanson : « il aurait fait un mari » (la mariée, Marie.F et Laura)
  • Chanson: : Il aurait fait un mari

    Vous l’avez vu
    Mesdemoiselles d’honneur
    Le bel inconnu
    A bien des malheurs

    Mais même sous l’tracteur
    Et l’air dépité
    Ils l’ont pas encore décapité

    Allez-y les filles !
    Oui tu as raison
    Les hommes de la ville
    C’est bien rare dans le canton

    C’est quand même dommage
    Un jour de mariage
    Et en plus il était mignon

    Ah c’est bien dommage
    Ah ça bien dommage
    Oui c’est bien dommage
    Ah oui c'est dommage
    Oui comme c'est dommage
    Ca oui c'est dommage
    C’est bien dommage ça oui
    Ah que c'est dommage

    Ah ça c'est dommage
    Ah ça bien dommage
    Oui c'est bien dommage
    C'est bien dommage oui
    Tellement dommage
    Oui c'est trop dommaj'

    Il aurait fait un mari
  • La mariée, Laura et Marie-F dansent en chantant, sur un rythme de parodie de comédie musicale, une chanson d’amour.
    Des brins de paille dans la bouche, les trois jeunes femmes les soufflent à la figure des curieux, puis tournent autour du malheureux, de plus en plus dépité.
    BENJAMIN, il chuchote aux chanteuses
    Pitié ! Je vous en supplie, mesdemoiselles, demandez-leur de me détacher !

    Leur danse tourne à la transe. Benjamin pousse un cri strident pour y mettre un terme.

    BENJAMIN, il hurle
    Dites à ces sacs à viande saoule de me détacher ! On a assez joué maintenant !

    Le marié et Olivier saisissent fermement les trois filles pour les ramener à la réalité.
    Puis arrachent l’accordéon au musicien et le virent.
    Fin de la Chorégraphie :
    Le marié s’approche de Benjamin. Le silence se fait pesant.

    LE MARIE, à Thierry
    Maintenant, tu peux redémarrer.

    Benjamin geint. Thierry redémarre l’engin et fait vrombir le moteur. Les trois danseuses rejoignent la foule.

    MARIE-F, comme amnésique, à Laura
    T’as vu mon assiette ? J’ai toujours faim dans ces moments-là !

    Benjamin pousse un hurlement de peur et de désespoir. L’engin est maintenant à seulement quelques centimètres de lui.
    Olivier se lèche les babines. La Pythie tend l’assiette vide à Marie-F, puis se précipite vers Benjamin et l’écarte des sillons de la roue. Elle s’agenouille près de lui.

    LA PYTHIE, à Thierry
    Arrête!
    (à tous) Avant de mourir, il a le droit de se défendre. Vous oubliez toutes les règles ancestrales…

    Elle regarde la mariée, lui fait un signe de la tête pour qu’elle se bouge.

    LA MARIEE, au marié
    Oui, mon amour, laisse-le se défendre. En l’honneur de notre mariage.

    Le marié, impérial, tend son verre vide sans regarder. Marie-F le récupère et lèche la dernière goutte. Silence.
    L’assemblée reste suspendue aux lèvres du marié qui s’approche, d’un pas décidé, de Benjamin, toujours à terre.
    Le marié s’accroupit et relève la tête de Benjamin en le tenant par les cheveux.



    LE MARIE
    C’est quoi ton nom ?

    BENJAMIN, difficilement
    Ben-ja-min… Benjamin Le…

    LE MARIE
    On s’en fout. Que je réfléchisse… A quoi tu pourrais nous servir ?

    BENJAMIN
    Je sais pas, moi. Détachez-moi ! Je peux vous payer…

    OLIVIER, il s’approche de la roue
    Tu peux m’acheter mon bétail ?

    THIERRY, de la moissonneuse batteuse.
    Ma dernière récolte, tu peux ? Et celle de l’année prochaine ?

    LA PYTHIE
    Epouser ma fille et l’emmener à la ville ?

    LAURA
    Oh oui m’épouser…

    Tous renchérissent dans un brouhaha de rires assourdissants.

    BENJAMIN
    Non, détachez-moi. Vous êtes vraiment des malades. J’ai rien à faire avec tout ça. J’travaille à la télé.

    La Pythie pousse alors la mariée tout près du visage de Benjamin, à moitié assis.

    LA PYTHIE
    Toi Benjamin…Tu travailles à la télé… c’est ça, alors, tu peux certainement faire quelque chose pour cette créature de rêve ?
    Benjamin reste muet.

    MARIE-F et LAURA, ensemble
    Il travaille à la télé. C’est génial !

    LA PYTHIE, à la mariée
    Je le savais. Il est venu pour toi, ma belle.

    LA MARIEE
    Pour moi ? Pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait ?

    LA PYTHIE
    Rappelle-toi. Je t’ai prédit une nuit pleine de surprises.

    LA MARIEE
    Et de chaos…

    LA PYTHIE
    Tu veux plus faire la belle ? Comme l’autre là, je sais plus comment elle s’appelle… Celle qui passe à la télé. Tout le monde dit que tu lui ressembles…

    Marie-F et Laura entourent la mariée, ivres de joie. Un brouhaha de voix.

    Un grand silence. La mariée détache Benjamin et l’entraîne vers la grange sous les regards médusés du marié de Thierry et d’Olivier.

    LE MARIE
    , à Thierry
    Elles ont décidé qu’on arrêtait là… Notre p’tit jeu ça leur plaît plus, mon gars… La loi de l’hospitalité, c’est la loi de l’hospitalité, tu sais. Allez, viens, allons fêter ça. (Il lui tape dans le dos) On va boire un coup.

    Benjamin a le visage d’un miraculé. Il pousse un grand soupir de soulagement.
    L’homme à l’accordéon réapparaît, débraillé. Il commence un morceau de valse, un sourire béat sur les lèvres.

    Un grand bruit. La musique s’arrête net.

    THIERRY, off
    Oh non, plus lui.




    SEQ. 14. INT/BORGNOL – FERME/ GRANGE-BANQUET/PODIUM

    D’un pas décidé, la mariée entraîne Benjamin à travers la grange jusqu’à grimper sur le podium du DJ. Elle échange quelques mots avec celui-ci. Un « larsen » strident. Quelques derniers danseurs se rapprochent du podium .

    LE DJ
    C’est pas encore l’heure de la jarretière, mais la plus belle mariée de la région veut vous dire un mot, un peu de silence s’il vous plaît.

    LA MARIEE, prenant le micro
    Je vous remercie encore d’être venus. On a eu un léger problème… Mais c’est fini !(elle sourit largement à l’assemblée) D’ailleurs, je vous présente maintenant, euh…

    Benjamin avec un œil au beurre noir bien visible( ), prend un air ahuri. La mariée le tire vers le devant de la scène.

    BENJAMIN,
    tout bas, sans micro
    Benjamin, je m’appelle Benjamin.

    LA MARIEE, très fort, en le regardant
    Benjamin est notre invité surprise, je peux même dire vedette.

    Du parterre, Laura tend un mouchoir à Benjamin pour s’essuyer le visage. Marie-F lui tend alors un verre de gnole qu’il boit cul-sec.
    La mariée lui serre la main et en profite pour se rapprocher de lui.

    LA MARIEE, avec une voix de petite fille
    Et puis, je vais peut-être partir d’ici. Un petit moment… Avec Benjamin qui me l’a proposé… Pour travailler avec lui à la télévision…

    Benjamin sort de son état de KO et bombe soudain le torse.

    BENJAMIN, avec assurance, à la mariée
    Oui, et, on va faire de grandes choses ensemble.

    Le marié, fou de colère, fait des signes à sa femme pour qu’elle se penche vers l’avant du podium.

    LE MARIE
    C’est quoi ces conneries ? Tu vas suivre cet abruti maintenant ? ça, c’est les conneries de ta mère, j’en suis sûr. Y’a plein de boulot ici et moi, j’ai besoin de toi. Allez, viens… On va danser ! C’est notre mariage, merde !

    Le marié entraîne sa femme dans une valse endiablée. Elle, tout en dansant, garde un œil inquiet sur Benjamin.
    Laura et Marie-F entraînent alors Benjamin vers la porte extérieure de la grange. Elles le veulent pour elles seules.

    LAURA toute exaltée
    Alors, c’est comment ?

    BENJAMIN
    Bien. Très sympa, votre petite fête !

    MARIE-F, elle le secoue
    Non, c’est comment la télé ? Vous avez déjà vu des acteurs, des gens connus ?

    BENJAMIN, il sursaute, encore effrayé
    Des quoi ? Heu… Oui, j’en ai rencontrés, même des très séduisants et des très connus…

    Il boit un autre verre de vin d’un trait. Les deux filles semblent satisfaites de sa réponse.
    Chacune à leur tour embrasse son œil au beurre noir.

    LAURA
    Tiens, v’là le curé !

    Le Curé entre par le rideau rouge.


    LE CURE, légèrement essoufflé
    Je suis désolé pour ce qui vous est arrivé. En ce moment, on peut plus les maîtriser. Vous comprenez, y’a de plus en plus de vols… Et alors, ils s’en prennent à n’importe quoi. Dire que pendant tout ça, j’attendais le réparateur télé. Vous aimez le patinage artistique ? Je l’ai jamais vu… Je veux dire, le réparateur… Justement, vous qui travaillez à la télé, vous pouvez pas faire quelque chose pour moi ?

    BENJAMIN, interloqué
    J’y connais rien, je ne suis pas dans la technique.

    Le curé lui montre la lettre.

    LE CURE (comme un sermon)
    On sait qui tu es Benjamin. Eux t’ont pris pour un voleur mais pourtant le mensonge est bien pire. Veux-tu encore faire souffrir ta région ? Je connais ta famille, la famille LEROY…De braves gens ; ils ont souffert le martyre après ton départ !

    BENJAMIN
    Pas de sermon le curé, j’ai rien fait de mal… Maintenant j’ai envie de m’amuser un peu.

    Les témoins arrivent dans le dos du curé et lui prennent la lettre des mains.

    LES TEMOINS,
    ensemble
    C’est quoi ça ? (à Benjamin) Faut que tu lui foutes la paix à la petite. Lui mets pas des idées à la con dans la tête. Tout à l’heure, on aurait dû te rouler dessus, tiens…


    Le curé apeuré, reprend la lettre des mains du témoin.

    BENJAMIN, rassuré
    Je suis votre invité vedette et je suis là pour fêter un mariage, alors amusons-nous !

    Benjamin entraîne les témoins dans une ronde improvisée. Les deux jeunes filles restent bouche bée.

    BENJAMIN, il crie sur un ton joyeux
    Amusons-nous, la vie est si courte…
    La Pythie se rapproche du curé et tous deux observent la scène, l’air mécontent.
    Les jeunes filles dansent avec Benjamin.
    La mariée, essoufflée, arrive et entraîne alors Benjamin sous le regard médusé du petit groupe.

    LA MARIEE
    Viens, j’te fais visiter mon domaine…

    Ils s’éloignent. Le curé et la Pythie sont rejoints par les témoins et se dirigent vers le marié.

    LA PYTHIE, au marié
    J’ai fait une connerie, c’est sûr. J’avais imaginé un autre destin à ma fille que d’épouser… que de t’épouser, voilà. Regarde ce que le curé a trouvé par terre.

    La Pythie prend la lettre des mains du Curé et la tend au marié. Il commence à lire.

    LE MARIE
    Qu’est-ce que c’est que ça ? Le fils du Marcel ? C’est le fils du Marcel. Mais qu’est ce qu’il fout là ? Et pourquoi il l’a pas dit plus tôt ? Ah… Je commence à comprendre…
    Il est venu là pour se foutre d’notre gueule. Oh putain, tu vas voir…

    Le marié aidé des témoins ouvre en grand l’énorme porte en bois de la grange du banquet, pour se diriger vers la cour.


    SEQ. 15 – EXT/NUIT – FERME/COUR

    Dans la cour de la ferme, le marié, le curé, la Pythie, Olivier et Thierry se dirigent vers la mariée et Benjamin. Le marié entraîne le couple un peu plus loin et les enlace avec rudesse.

    LE MARIE, sûr de lui dans son ivresse
    Alors, c’est pas beau ici ? Tu reconnais, elle est pas verte ma prairie…
    LA MARIEE, repoussant le marié
    Tu me fais mal, arrête…

    LE MARIE
    Regardez !

    Dans la pénombre, la cour de la ferme avec au loin des champs à perte de vue. On ne distingue que de grandes formes sombres.

    LE MARIE
    J’en suis jamais parti d’ici, j’ai jamais voyagé moi. A quoi bon, y’a tout ici ! (il regarde la mariée) Tout ce que j’aime est là, devant toi, mon amour.(Il se tourne vers Benjamin) C’est pareil pour toi, mon pote. Tu sais pas ce que tu perds !

    Les murs de la ferme se découpent dans le ciel, la lune brille. Le visage de Benjamin semble maintenant apaisé. Le marié pose une main sur son épaule.

    LE MARIE, calmement
    Allez, on sait qui tu es. (Il le repousse soudainement, la Pythie, le curé, Olivier et Thierry se rapprochent).
    On la connaît ton histoire…Tout le monde se fout de ta gueule ici depuis que t’es parti pour la capitale. T’as laissé toute ta famille sans lui donner de nouvelles, ingrat que tu es. Et tout ça pourquoi ? Pour passer à la télé ? Où on t’a jamais vu d’ailleurs ? On t’a même pris pour un voleur, un ETRANGER.

    Laura et Marie-F apparaissent alors dans un grand rire.

    LAURA et MARIE-F, ensemble, au marié
    C’est quoi l’étranger, Allez, viens nous faire danser (au marié). T’avais promis.



    LE MARIE
    J’arrive, les filles. (À la mariée) Tu vois avec quel type tu veux partir ? Allez laisse tomber ce débris.

    Le marié, Olivier et Thierry fiers de la prestation du marié, suivent les deux jeunes filles,.

    LA PYTHIE
    Allez, viens ma fille, c’est fini maintenant, y peut plus rien pour toi…

    Le curé et la Pythie s’éloignent à leur tour.
    Benjamin et la mariée restent seuls au milieu de la cour. Benjamin pleure.

    LA MARIEE
    J’ai jamais vu un homme pleurer. T’inquiète pas, va. C’est des conneries, tout ça. Reste comme tu es, je t’aime bien.
    Ils regardent les dernières voitures d’invités quitter la cour. Leurs phares scintillent dans le paysage sombre. Ils s‘embrassent. Au loin, devant la porte de la grange, un groupe d’hommes et de femmes s’embrasse avant de quitter la grange.



    SEQ. 16 – INT/NUIT – FERME/GRANGE

    Un couple, visiblement très fatigué, danse encore sur la piste couverte de serpentins. Sans musique. Un homme dort sur le ventre dans la poussière, comme mort. La Pythie ramasse les verres dans un grand panier et commence à chanter.
    Le marié, saoul, dort sur la table. Laura, la robe ouverte sur la poitrine, est affalée sur une chaise, un verre à la main. La Pythie s’avance du fond de la salle en chantant.

    LAURA, pour elle
    Qu’est ce qu’on s’amuse dans ce mariage !

    Dans un coin, un œil perçant observe cette scène de fête sur sa fin. On reconnaît la Pythie.

    LA PYTHIE, pour elle, un peu saoule
    C’est la fin d’une époque, on ne respecte plus rien .

    CHANSON ACCOUSTIQUE, CHANTÉE EN DIRECT PAR LA PYTHIE .
    Dans la grange, puis dans la cour de nuit ou au petit matin ?

    Couplet 1
    Mon nom, c’est la « Pythie », pour les gens du village
    J’suis sévère et aigrie, ça s’lit sur mon visage
    C’tantôt j’marie ma fille à un p’tit gars d’ici,
    J’avais espéré mieux… mais après tout tant pis.

    Couplet 2
    En ce jour de mariage, aux deux époux j’ai dit
    Quelques mauvais présages, chaos, rixe, gabegie.
    C’est alors qu’un intrus s’est pointé à la fête,
    Comme on dit au pays…on lui a fait sa fête.

    Pont
    Dans l’temps, ce gars-là aurait valsé…
    Et puis, on s’rait r’tourné manger…
    Les vauriens, on en a assez
    Nous, on n’aime être dérangés (on n’aime pas les étrangers…)

    Couplet 3
    Y’a eu comme qui dirait erreur sur la personne
    Et nous de chantonner « Kyrie Eleison »
    Cet étranger d’Paris, est ancien du village
    On l’voit à la télé, v’la qu’ma fille l’envisage !

    Couplet 4
    Mais aujourd’hui on vit une drôle d’époque
    Les traditions d’ici, maintenant c’est du toc
    Comme il était venu, l’étranger, r’partira
    Ça n’fera pas un pli…et puis bon débarras !

    Coda
    Mon nom, c’est la « Pythie », pour les gens du village
    J’suis sévère et aigrie, ça s’voit sur mon visage
    C’tantôt, j’mariais ma fille à un p’tit gars d’la Meuse,
    Parait qu’il est gentil…qu’il la rendra heureuse…
    Qu’il la rendra heureuse… qu’il la rendra heureuse…

    SEQ. 17 – INT/JOUR – FERME/ ECURIES

    Trois boxes, dans une vieille écurie qui semble abandonnée. Benjamin dort seul dans la paille. La Pythie le réveille brutalement .

    LA PYTHIE
    Lève-toi, salopard!

    Benjamin, le front plissé par la migraine, cligne des yeux et se tourne vers elle.

    BENJAMIN, surpris
    Qu’est-ce qui se passe ? Mes lunettes, elles sont où ?

    Il tâtonne autour de lui dans la paille. Sans succès.

    BENJAMIN
    Ah oui, c’est vrai, je me souviens…

    LA PYTHIE
    Pars, tu n’es qu’un voleur, un menteur, un escroc et j’en passe. J’ai honte pour toi. Les premiers rayons du soleil sont là, dépêche-toi,pars. Tu n’as que trop profité de la nuit.

    Benjamin se frotte les yeux. Il a le visage tuméfié, un œil au beurre noir et la chemise en lambeaux.

    BENJAMIN
    Attendez, là… J’ai rien demandé, moi. On me casse la gueule, on me libère ensuite sous condition et vous me reprochez d’être un pourri.

    LA PYTHIE
    Alors t’as rien fait dans l’affaire ? Et tous ces rêves que t’as foutus en l’air ? J’espère bien qu’ils vont te sauter à la figure, tiens. Ce ne sera que justice. Rentre chez toi à Paris. Disparais donc de notre vie ! J’ai qu’un mot à dire et tout recommence.

    La Pythie s’éloigne à grand pas, Benjamin se lève difficilement.


    SEQ. 18 – EXT/JOUR – FERME/COUR

    Benjamin sort de l’écurie et arrive dans la cour baignée de soleil, traversée par un troupeau de moutons. Il balaye du regard cette énorme bâtisse et se dirige vers la route.


    SEQ. 19 – INT/JOUR – FERME/CUISINE


    La mariée est à une fenêtre de la ferme. Elle essuie un verre dans la cuisine, regarde Benjamin s’éloigner. Un éclair vert illumine son visage et l’aveugle. Elle regarde à nouveau dans la cour : Benjamin a disparu.
    Lentement, la mariée se tourne alors vers la Pythie assise près d’un vieux poêle à bois qu’elle attise et qui peste comme si elle contenait sa colère.
    Le marié, assis à la table, regarde la télévision.

    LA MARIEE
    T’as dit quelque chose, maman ?
    La Pythie regarde sa fille avec une grande tendresse, presque avec envie, puis se retourne vers le fourneau, prends un plat de service bien chaud et le pose au centre de la tablée familiale.


    SEQ. 20 – EXT/JOUR – ROUTE DE CAMPAGNE - PORCHERIE


    Benjamin marche sur une route de campagne déserte, baignée de soleil. Des champs à l’infini.
    Il regarde derrière lui, semble hésiter.

    BENJAMIN, il crie très fort
    Et puis merde ! Tous des connards ici !


    SEQ. 21 – EXT/JOUR – VOITURE/ROUTE DE CAMPAGNE

    La Twingo démarre dans un nuage de fumée.

    OFF BENJAMIN
    Benjamin, à Paris s’il vous plaît…

    SEQ. 22 – INT/JOUR – FERME DE WOECOURT-ETANG
    Un vieil homme est assis sur un banc au bord d’un étang, un grand parasol le protège du soleil. Il est dans ses pensées ; soudain une main dans une blouse blanche se pose sur son épaule.

    LE VIEIL HOMME (à l’infirmière)
    Mon fils va arriver. Je l’ai pas vu depuis si longtemps, il n’a jamais le temps. J’espère qu’il va me reconnaître…Il est vraiment très gentil, vous savez, il va vous plaire, il travaille à Paris, à la télévision. Il va venir c’est sûre…

    -FIN-

    Générique
    Plans de la twingo sur des routes.



  • [A propos du film]
    [La vie du film]
    [Remerciements]
    [Scénario]